D’abord j’aimerais poser la question suivante: qu’est-ce que la société civile et dans quelle mesure celle-ci peut être démocratique. Est-ce que la société civile se pose essentiellement contre le régime en place ou peut-elle être un intermédiaire entre le bas à savoir le peuple et le haut qui est le régime?
Les pères fondateurs de la notion de la société civile prêchaient la bonne gouvernance qui doit implicitement conduire à une démocratisation des régimes autoritaires. Au lieu de poser ou de proposer un modèle démocratique ils proposaient des aides financières pour le développement des pays du sud. Ils considéraient que c’est en libérant l’économie qu’on peut accéder à une libéralisation politique. Ce concept est appliqué dans le monde arabe à partir des 1980, et plus exactement en 1983 avec le président Reggan qui proposait de subventionner les pays du sud pour une transition démocratique. Or, depuis les années 1980 on n’a pas vu dans les pays arabes une vraie transition démocratique. Certes les associations et les ONG qui défendent des sujets branchés comme l’éradication de la pauvreté, la protection de l’enfance et de la femme ont joué un rôle de soutien et d’aides mais certainement pas de démocratisation. Pire encore, et je ne suis pas la seule à le penser ce type d’organisation a alimenté des régimes avec des façades démocratiques, mais qui sont en réalité des régimes autoritaires.
Je pense alors qu’il faut dépasser le concept de la société civile telle que posée par les institutions financières internationales et s’intéresser aux vrais acteurs sociaux locaux dans nos pays, car c’est grâce à ces modes de sociabilités diverses que nos révolutions ont eu lieu.
J’aimerais ici parler donc de l’exemple égyptien.
L'Égypte pendant la dernière décennie a connu une grande mutation de l’espace public et non pas grâce à la société civile promue par le concept occidental mais par de vrais acteurs sociaux et des fortes mobilisations sociales, à commencer par kifaya qui a donné à la société civile un nouveau souffle. Ces nouveaux types de mobilisation et de contestations sociales ont en effet transformé le rôle des ONG et des associations, ils ne sont plus des miroirs qui déforment la réalité, mais elles rentrent dans une vraie dynamique de lutte pour la démocratie. Le thèmes des droits de l’homme s’est élargie pour comprendre les droits des travailleurs, droits des victimes, droits des paysans, droits sociaux et économiques etc ( Ben Néfissa 2011)… Bref il existe plusieurs mouvements et mobilisations qui ont été créés durant cette décennie. De ce point on peut presque dire que la révolution égyptienne est née du social et grâce à cette accumulation des différentes revendications qui ont enfin culminé dans un soulèvement gigantesque le 25 janvier 2011. Le tissu associatif égyptien ainsi que les ONG et les organisations des droits de l’homme ont joué un rôle essentiel dans la conscientisation du peuple égyptien sur leurs droits bafoués, les crimes et les tortures des services de sécurité et la corruption du régime. De là on peut dire que la société civile signifie le pouvoir au peuple. Car ce sont ces dernières les catalyseurs de la colère égyptienne.
Dans son ensemble, la société civile redéfini les rapports entre l’état et la société du peuple. Cependant, aujourd’hui le débat sur la société civile reste miné, car malgré leurs exploits, le régime reste très verrouillé et les discours politiques sur ces différentes organisations mettent les différents mobilisations et mouvement à mal. Le mouvement du 6 avril est considéré comme un mouvement traitre qui vise l’instabilité du régime égyptien. les différents ONG pour les droits de l’homme sont jugés d’organisation d’espionnage. On est toujours dans la rhétorique de l’ancien régime qui cherche à effrayer la société en générale et la société civile en particulier.
Les perspectives pour l’avenir sont pour l’instant assez floues, puisque toutes les associations et les ONG sont sous le contrôle direct de l'État, ces dernières doivent obtenir des permis pour l’exercice de leur activité et on imagine bien que cette obtention est loin d’être simple. Cependant, la lutte de ces derniers continue, puisqu’ils arrivent tout de même à mobiliser un nombre remarquable de la population égyptienne. C’est dans ce sens que la société civile en Égypte contribue dans le processus de la démocratisation. C’est grâce à ce type de mouvement et associations que la scène publique en Égypte se transforme largement, car c’est au sein de ces mouvements que naissent de vrais initiatives de construction d’un nouveau système, on peut citer à titre d’exemple yalla nekteb dostorna ou la proposition de restructuration du ministère de l’intérieur, ou encore les mobilisations pour les droits civiques
Pour finir je dirais que dans le contexte actuel en Égypte la société s’oppose à l'État autoritaire et si vous le voulez militaire, mais dans une perspective un peu plus optimiste, l’avenir de la société civile doit jouer un rôle intermédiaire entre la société et l'État. Et quand je parle du rôle de l’intermédiaire, je veux ici insister sur la diversité de la société civile. Au lieu de se bloquer dans un débat stérile sur l’existence ou non de la société civile dans le monde arabe , il faut plutôt placer l’interrogation du côté des acteurs sociaux. En effet, dans le monde arabe, on ne peut pas restreindre la société civile à des organisations locales ou internationale, il faut inclure tous les collectifs et les mouvements organisés par les acteurs locaux. C’est en acceptant et en négociant avec ce pluralisme qu’on pourrait arriver à un vivre ensemble et un agir ensemble.
Il s'agit de l'intervention de Caroline Barbary, sociologue égyptienne, au dîner-débat organisé le 20 mars au café de la Commune, à Paris, sur le thème : les enjeux révolutionnaires actuelles en Tunisie et dans le monde arabe avec:
• Caroline Barbary militante associative et sociologue égyptienne
• Maxime Droubi, militant associatif syrien
• Hassan Khaled Chatila, militant syrien
• Noomane Bouaziz , président du manifeste du 20 mars-France et psychiatre tunisien
Il s'agit de l'intervention de Caroline Barbary, sociologue égyptienne, au dîner-débat organisé le 20 mars au café de la Commune, à Paris, sur le thème : les enjeux révolutionnaires actuelles en Tunisie et dans le monde arabe avec:
• Caroline Barbary militante associative et sociologue égyptienne
• Maxime Droubi, militant associatif syrien
• Hassan Khaled Chatila, militant syrien
• Noomane Bouaziz , président du manifeste du 20 mars-France et psychiatre tunisien
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