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lundi 26 mars 2012

Le rôle de la société civile dans la révolution Tunisienne, Par Noomen Bouaziz (président du Manifeste France)



Plus d’une année s’est écoulée depuis la révolution tunisienne, qui a chassé Ben Ali du pays et qui a engendré, à travers le monde, un souffle de courage et un nouvel espoir d’émancipation pour consacrer enfin la souveraineté des peuples et faire valoir la liberté et la dignité.

Cette révolution qui était à la fois attendue, rêvée, redoutée et inespérée a été, en Tunisie du moins, essentiellement l’œuvre de la société civile qui avec ses femmes et ses hommes, a pu changer, au cours du temps, les équilibres imposés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays et réaliser ce que les forces politiques et économiques traditionnelles n’ont pas pu faire ou probablement ont renoncé à œuvrer pour.

Quand je parle de la société civile je me réfère à la fois à la définition globale désignant l’ensemble des citoyens qui composent une société donnée, et à la définition plus pratique et restreinte qui désigne les citoyens organisés en groupes ou organisations et ayant un but non lucratif.

Indéniablement l’étincelle révolutionnaire en Tunisie a été induite par des jeunes révolutionnaires non organisés qui sont entrés en insurrection portés par le désespoir et la colère contre un régime sanguinaire et méprisant qui les a exploités et humiliés depuis des années innombrables pour finir par les oublier.

Mais rapidement et grâce aux bases de la société civiles au sens usuel, l’élan révolutionnaire a trouvé l’organisation et la phrase (slogan) politique nécessaire pour continuer son œuvre : Ben Ali a été chassé et deux gouvernements représentant les reliquats des systèmes ben Ali ont été contraints à démissionner.

C’est également la société civile et les jeunes révolutionnaires qui dans le souci de transformer radicalement le système politique et de tourner définitivement la page du passé ont imposé la mise en place de l’élection d’une assemblée constituante.

Les forces politiques et économiques qui étaient jusque-là à court de vitesse, d’idées et de détermination ont trouvé dans cette élection une occasion pour reprendre leur souffle, pour s’organiser et surtout pour pouvoir canaliser l’élan révolutionnaire qui, certes a continué de peser sur le gouvernement mais s’est restreint à des revendications sociales superficielle en remettant l’essentiel des revendications révolutionnaire à plus tard.

Cette manœuvre essayant de détourner le processus de ses objectifs initiaux n’a pas échappé au peuple tunisien. Les résultats électoraux en sont la preuve. En effet, même si le partie islamiste a obtenu 40% des voix, la majorité des électeurs se sont abstenus de voter suggérant une méfiance voire un rejet des forces qui aspirent au pouvoir.

Apres les élections la bipolarisation prévisible de la société entre partisans de parti islamiste et de son projet d’islamisation politique et les défenseurs d’un état démocratique civil, est devenue un fait réel. Les problèmes politiques débattus quotidiennement se sont éloignés clairement des revendications originelles de la révolution, revendications essentiellement sociales.

Nous ne nous avançons pas beaucoup en affirmant que l’énergie qui a permis aux révolutionnaires de défier les balles n’était alimentée ni par l’instauration de la charia ni par l’instauration de la laïcité : elle voulait essentiellement mettre fin à des décades de mépris pour les droits humains les plus élémentaires.

Certes les revendications actuelles des deux camps sont légitimes, mais leur forme actuelle ne peut aboutir que sur un débat stérile et vain, et ne peut qu’alimenter une haine réciproque voire une guerre civile ou bien l’instauration d’une dictature, qu’importe sa forme.

Devant cet état de fait, différentes analyses commencent à se cristalliser, avec comme implications des plans d’action différents.

La première analyse stipule que le projet de nahdha et un projet clairement dictatorial, que l’instauration d’un régime à l’iranienne est l’objectif qu’ils sont en train d’établir et que ce projet est tellement probable et inacceptable qu’il rend légitime une réhabilitation de l’ancien régime sous sa forme Bouguibienne (allusion au projet moderniste de Bourguiba).

Ce point de vue s’appuie sur le postulat que le retour à une dictature à l’ancienne n’est ni possible, ni envisageable par l’ancien régime, elle aboutit à l’idée que l’unique champ de bataille est le champ électoral et que le réseau de l’ancien régime a les moyens de battre les islamistes.

Nous pensons que cette analyse est aussi inacceptable qu’absurde.

Inacceptable ; car on ne peut pas admette, pendant un processus révolutionnaire, qu’on puisse réhabiliter, aussi rapidement, tout un système dictatorial et mafieux sans que la justice, aussi imparfaite qu’elle puisse être, ait rendu son jugement, comme l’attendent les révolutionnaires.

Absurde car, en supposant que cette machine permette un rebasculement du rapport des force, elle ne pourra déboucher que sur une dictature : l’électorat islamiste est un fait et le seul moyen pour taire ses revendications est un verrouillage complet, tel que celui déjà exercé par Ben Ali, Bourguiba et qu’on a pu voir en Algérie.

Enfin, si on croit à la rédemption miraculeuse et spontanée des agents de l’ancien régime, ils n’ont qu’à rejoindre les nouvelles forces révolutionnaires sans qu’on ait besoin de faire appel à eux.

Cette vision ne peut traduire qu’une angoisse exagérée ou bien un attachement à quelques acquis libertaires garantis par la dictature ancienne aux privilégiés.

Une autre analyse s’appuie sur le fait que le peuple tunisien et sa société civile ne pourront pas être facilement enrôlés par aucune des forces politiques actuelles, islamiste comprise.

Certains diront que les islamistes en Iran ont établi leur dictature suite à une révolution et que le nazisme a été légitimé par les urnes. Mais la révolution iranienne n’avait pas seulement la chute du shah comme objectif, elle visait à libérer les masses paysannes d’un régime féodal dont elles ne voulaient plus : leur intrusion dans la révolution, sous la direction de leur clergé (les chiites sont très hiérarchisés) a transformé une révolution aux mots d’ordre démocratiques en une révolution aux mots d’ordre religieux, elle a permis l’achèvement de la révolution démocratique bourgeoise.

Quant au régime nazi, il correspondait au besoin des industriels allemands, brimés par l’occupation étrangère, de rassembler des forces énormes pour la reconstruction de l’économie allemande. Dans les deux cas, il s’agit en fin de compte de dictature armée, et la seule réponse à une dictature reste toujours une révolution ou un coup d’état.

Nous nous ne sommes pas en train de banaliser ou de sous-estimer les tendances totalitaires de nahdha mais nous nous basons sur des faits réels montrant que leur projet est en grande partie voué à l’échec.

En premier lieu grâce à la formidable mobilisation citoyenne, mais aussi à cause d’une des « facettes non religieuses » du conservatismes sociétal  : ils ont été contraints de prendre leur distances avec leur alliés salafistes, ils ont été contraints de battre en retraite dans le bras de fer avec la centrale syndicale, ils ont été contraints de jouer toutes leurs cartes par rapport à l’introduction de la charia dans la constitution en espérant obtenir au minimum, le maintien de l’ancien article 1.

Cette vision ne prône bien sûr pas un laxisme et un optimisme aveugle. Car c’est une bataille quotidienne et rude pouvant pousser des citoyens, à bout de souffle, à chercher le repos et la stabilité en soutenant le camp qui parait le plus fort.


Il faut batailler pour la liberté et la dignité sans se contenter de les répéter incessamment en tant que tels, car elles commencent à se vider de leur sens et devenir creux. Il faut demander et proposer du concret et aussi refuser sur des bases concrètes pour ne pas tomber dans les pièges des uns et des autres.

Mais la société civile ne pourra regrouper toutes les forces favorables à la révolution, en particulier celles qu’on a tendance à appeler la qasbah, du nom de l’énorme rassemblement des représentants de la révolution, que si elle sort de la problématique où elle a paru enfermée ces temps derniers. Dans un modèle de luttes frontales contre les restrictions aux libertés, elle n’a pas mis assez d’énergie dans la défense des autres revendications de la révolution l’emploi, d’abord, la fin des discriminations régionales, la justice. Faire de ces revendications la priorité dans les luttes à venir changera le terrain et la nature du combat, fera peser une pression énorme sur l’assemblée constituante et le gouvernement, amènera les fronts des réactionnaires à s’effriter et permettront des avancées significatives de la révolution.

Et nous pensons également que des concessions mutuelles entre les tendances politiques non contre-révolutionnaires seront alors envisageables et permettront d’avoir une paix sociale choisie et non imposée.


mercredi 15 février 2012

Bonnes feuilles: extraits de "Vers la démocratie?" : Sur l'évolution du parti destourien




Sous Bourguiba, le parti est une structure contrastée

Ainsi, en Tunisie, sous Bourguiba, l’idéologie officielle était celle de l’Union Nationale, et prétendait que toutes les classes et « catégories » de la nation devaient bénéficier ensemble de l’indépendance et de ses bienfaits. Dans cette optique, le Destour *, parti unique de fait, était le lieu de la concrétisation de cette Union Nationale : toutes les classes et fractions de classes étaient censées y être représentées, directement et par des individus, ou au titre de telle ou telle organisation nationale – syndicat ouvrier ou patronal, organisation d’agriculteurs, de femmes… – dont on ne savait déjà plus très bien si elle était le moyen d’expression de ses membres auprès du pouvoir ou au contraire celui de faire exécuter dans son domaine les décisions de ce pouvoir. Il devait y avoir des deux au début, et existaient certainement des va-et-vient, comme cela s’est vu tragiquement à l’occasion de la crise avec l’UGTT (le syndicat ouvrier, en janvier 1978), contrairement à la rupture totale qui avait eu lieu avec les étudiants et la suspension des activités de leur organisation, l’UGET, devenue incontrôlable en 1972…
Dans la logique de cette idéologie, dans celle du maintien au pouvoir, non seulement par la répression contre les contestataires**, mais aussi par la domination idéologique sur le pays (« l’hégémonie » par rapport à la répression), accompagnée d’un intense effort pédagogique pour populariser la démarche et le projet, le parti destourien est resté un lieu de coexistence de tendances différentes, voire opposées. Lorsqu’un choix, comme celui des coopératives et de la collectivisation, « du socialisme destourien », entre 1963 et 1969, était contesté, ceux qui n’étaient pas d’accord n’étaient pas exclus du parti, ni même des instances dirigeantes, ils se soumettaient en silence, faisant parvenir leurs réserves, critiques et craintes au « Combattant suprême ». Les interventions directes de Bourguiba contre telle ou telle tendance se produisaient à chaque fois que cette tendance, devenue hégémonique, voulait écarter les autres : crise de 1969 où l’hégémonie de Ben Salah et des bureaucrates qui se constituaient en parasites directs de la collectivisation finit par dresser toutes les autres fractions, et particulièrement la paysannerie contre le pouvoir, et où la gravité de cette opposition obligea Bourguiba à réprimer Ben Salah, en qui il avait vu, non seulement le chef d’une fraction, mais un aspirant au poste de Président… ; le congrès du parti de 1971 où la tendance « libérale », dirigée par Ahmed Mestiri prend le contrôle du parti, congrès annulé par un autre, l’année suivante, puis congrès de 1979 où c’est au tour de Hédi Nouira, premier ministre en titre et dirigeant de fait du pays, de fomenter une sorte de complot en vue de généraliser dans toutes les structures de l’Etat, à commencer par le parti, sa propre hégémonie, avec l’aide du ministre de la Défense, A. Farhat, et de Hédi Baccouche, Directeur du Parti, que l’on retrouvera dans le coup d’État de novembre 1987.
A chaque fois, la lutte des tendances au sein du parti au pouvoir a pour objectif de capter le monopole et les interventions de Bourguiba de rétablir les équilibres. Jusqu’après le congrès de septembre 1979, où, prenant conscience que ces équilibres étaient trop précaires et incertains au sein du parti unique, il décide d’instaurer la pluralité des partis, pour ménager un espace d’expression des tendances qui ne peuvent déjà plus se faire entendre au sein du PSD. Il faut dire aussi que, à mesure qu’une tendance entrait dans l’opposition décidée à la politique de Bourguiba – sans même évoquer ici ceux qui étaient toujours restés en dehors de la sphère destourienne – elle quittait le Néo-Destour, ou en était chassée, créait un nouveau mouvement, réprimé avec plus ou moins de brutalité, et se raréfiaient les tendances au sein du parti au pouvoir, et celles qui restaient pensaient pouvoir plus facilement éliminer les autres. Ce phénomène d’élimination successive des tendances va dans le sens de la consolidation d’un appareil qui ne dépend déjà plus de telle ou telle tendance.

Pétrification de l’appareil du parti unique

Et l’initiative de Bourguiba arrive trop tard. L’appareil est déjà trop fort, trop rigide, il accepte du bout des lèvres le pluripartisme, mais pas la démocratie. Les élections de 1981, avec la négation totale de la libre expression des électeurs, sont la manifestation de la prise du pouvoir de l’appareil sur les instances dirigeantes. Dès lors, Bourguiba n’est plus le chef de toutes les fractions, il devient celui de l’appareil exclusivement. Et les fractions les plus corrompues, à tout le moins celles qui sont le plus décidées à profiter à fond de leurs privilèges, tiennent le haut du pavé.
La révolte du pain de janvier 1984, manifestation sanglante du fossé qui sépare désormais les masses populaires du pouvoir, de la fin de « l’hégémonie » idéologique et politique du parti destourien sur la société, est le début d’une nouvelle phase, celle de la gestion au jour le jour de la situation, du renoncement complet par le pouvoir aux instruments idéologiques de domination, pour le recours à la seule répression…
C’est que la survie de l’appareil exige un effort sécuritaire intense, d’autant plus que le vide idéologique laisse la place à un nouveau parti unique en projet, la Nahda des intégristes, que le pouvoir avait aidée à se développer pour contrer la gauche, et qui profite de l’essoufflement du PSD et de l’impopularité de sa politique pour se mettre sur les rangs.
La logique de la répression met tout naturellement en avant son principal artisan, Zine El Abidine Ben Ali. Le théoricien de cette répression, Mohamed Sayah, n’a pas saisi à temps la demande de l’appareil de le débarrasser de Bourguiba, sénile, hésitant et manipulé par ses proches, devenu incapable de jouer le rôle d’unificateur ou d’arbitre qu’il s’était fixé, et dangereux pour le parti, car il a lancé l’idée de multipartisme, et contesté dans les faits le monopole absolu du Destour sur la société.
Ici, il faut peut-être introduire une remarque méthodologique : l’appareil, les appareils en général, n’expriment jamais de demandes claires, ils attendent que surgisse celui qui portera la réponse à la question qui leur est posée, et si cette réponse est positive, si elle va dans le sens de leur intérêt, ils soutiennent cette personne, se l’approprient en quelque sorte, et en font leur chef. Sinon, ils suscitent la montée de quelqu’un d’autre, qui apportera la réponse attendue...
C’est à peu près ce qui s’est passé en Tunisie : les affrontements du 26 janvier 1978 marquent l’autonomisation de l’appareil du parti : tandis que Sayah le lance dans la bataille contre la “gauchisation de l’UGTT” et les prémisses de création d’un parti travailliste autour d’un syndicat plus radical que jamais, cet appareil ne fait que défendre son monopole, sans aucun programme politique clair, l’État c’est moi, proclame-t-il tous les jours, dans la foulée de Hédi Nouira, le premier ministre, à qui Bourguiba a laissé une très grande marge de manœuvre. Par la suite, après la tentative avortée de prise du pouvoir de l’appareil, au congrès de 1979, et quand Bourguiba, à celui de 1981, annonce le pluralisme politique, le parti se tait, feint d’accepter la situation..., mais sabote immédiatement l’application du pluralisme, en falsifiant honteusement les élections de novembre 1981, montrant par là son refus de laisser d’autres acteurs politiques entrer en scène. Il suscite partiellement, ou laisse faire sans prévenir les émeutes du pain de janvier 1984 qui, en déstabilisant le régime de Bourguiba, rendent le pays apte à un changement de direction : priorité absolue à la répression et à ceux qui sont capables d’en mettre au point l’escalade et, dans la foulée, liquidation brutale des intégristes, ce qui rend la situation intenable. Et c’est paradoxalement celui qui organise cette répression qui intervient pour calmer le jeu, en faire prendre la responsabilité par Bourguiba, et apparaître comme celui qui a évité la guerre civile au pays. Et, dans le coup d’État du 7 novembre 1987, on ne peut oublier que l’un des principaux acteurs est Hédi Baccouche, celui-là même qui était déjà au premier plan au congrès de 1979...

Après le renversement de Bourguiba, l’appareil saura attendre patiemment (un an et demi, sans jamais quitter le pouvoir) que Ben Ali le reconnaisse officiellement sien. Mais il n’a plus qu’un lointain rapport avec le parti de Bourguiba : plus d’idéologie, plus de références, plus de contradictions, les anciens responsables sont écartés et progressivement et remplacés par des gens qui n’ont en commun que leur soif du pouvoir et leur allégeance à la personne du chef, auteur du « changement ». Changement qui veut quoi, qui mène où ? Personne ne le sait, en tout cas personne ne l’exprime nettement...
Il est extrêmement édifiant de constater que, alors que les discours de Bourguiba, la plupart du temps, étaient des discours programmatiques ou pédagogiques, ceux de Ben Ali sont faits de bilans : depuis le changement, nous avons fait… Comme si les choses accomplies ne l’étaient pas par choix ou à la suite de réflexion ou de discussion, mais par un engrenage des causes et des effets que l’on ne domine pas vraiment…
L’appareil se sclérose, se pétrifie, et entrent en conflit ses deux parties, celle de l’appareil d’Etat proprement dit, plus particulièrement l’appareil de répression lié au ministère de l’intérieur, et celui du parti. Chacune de ces parties veut être essentielle et s’efforce d’éliminer l’autre des décisions, ou au moins la dominer, mais cette dernière résiste. Et, depuis le 7 novembre 1987, on peut aussi lire les événements à la lumière de cette opposition entre les deux types d’appareil, de la domination de l’un ou de l’autre, dans un ballet chaotique où tout le monde se réclame du chef.
Tout cela se déroule sur le fond d’une répression permanente, mais d’une répression qui ne s’affirme pas comme telle, sauf depuis peu de temps vis-à-vis des intégristes. Pour se faire accepter, pas tellement de la société – il est rassuré depuis que les élections de 1989 lui ont confirmé le fait que le PSD, qui devient le RCD, est tout à fait prêt à jouer son jeu et que les Tunisiens ne sont pas en mesure de défendre leurs droits de citoyens – mais de l’étranger dont il a besoin (et qui l’a aidé à prendre le pouvoir) pour obtenir crédits et aides économiques, le nouveau chef adopte le discours dominant, celui de la démocratie et des droits de l’homme. Comme l’omniprésence de l’appareil, avec ses exigences insatiables de pouvoir et d’enrichissement, favorise mal-fonctionnement et surtout corruption, que cette dernière, au niveau des sommets (elle existait déjà du temps de Bourguiba), s’ajoute spectaculairement à celle de la structure, il y a une contradiction fondamentale entre le discours et la réalité de l’action, une schizophrénie quotidienne qui fait de la parole une dérision suprême : et les observateurs analysent de plus en plus les affirmations de liberté, les mesures de libéralisation, en fonction des avantages qu’elles procurent à très court terme à telle fraction du pouvoir, à tel homme d’affaires bien en cour… Et dans les pires moments de répression et de généralisation de la torture, on fait l’apologie d’une démocratie que l’on violente et de droits de l’homme que l’on piétine…




* Nous appellerons le parti de Bourguiba « Destour », même s’il a changé de nom, passant de Néo-Destour à Parti Socialiste Destourien, puis à Rassemblement Constitutionnel Démocrate, après le renversement de Bourguiba.

** L’idéologie de l’Union Nationale était le fond sur lequel se développait l’idéologie du développement, marquée par la construction d’un Etat tout puissant et incontesté, seul capable d’impulser ce développement, une fois admis que la bourgeoisie privée ne pouvait seule promouvoir le développement économique : idéologie adaptée à merveille à l’émergence d’un appareil d’Etat de plus en plus autonome, de plus en plus répressif…