La femme militante tunisienne, subit de plein fouet, une campagne féroce de lynchage et de stigmatisation.
Après s'être attaqués aux membres de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates l'ATFD, ces "agresseurs" élargissent leur champs d'action pour cibler tout militant de la société civile (en général) et toute Femme militante en particulier.
Essayons de comprendre ce phénomène, et replongeons nous, avant tout, dans l'histoire de la femme Tunisienne (post indépendance)
Bourguiba, a joué la carte de la modernité et, n'a épargné aucun détail ( "jouissant" de sa condescendance et de son rôle "de père d'une nation libérée du joug du colonisateur".)
Pour tourner la page d'une Tunisie colonisée et dominée, il a misé sur les "réformes radicales", en se consacrant, ab initio, à la promulgation du Code du Statut Personnel (CSP). Il en a fait son cheval de bataille. Il a réussi (indéniablement) à faire émanciper la femme tunisienne, mais il a (aussi et surtout) gagné la sympathie de l'autre rive de la méditerranée (et même plus loin) grâce à ça (aux dépens d'autres réformes... politiques)!
Ben Ali n'a fait que suivre la démarche de son prédécesseur. A défaut d'inventer et de créer, il a trouvé qu'il était plus judicieux de poursuivre ce même chemin, d'en faire son dada, et le tour est joué. Nos amis les occidentaux ne pourraient alors que chanter les louanges de ce "miracle tunisien féministe"! Cette "cause" a donc été instrumentalisée à des fins politiques, et tout mouvement féministe (ou conduit par des femmes) étranger au régime a été réprimé et opprimé.
La femme tunisienne s'est retrouvée donc, à servir (à des degrés différents!) comme "vache à lait" à Bourguiba et à Ben Ali .
La révolution de la dignité a bouleversé ce statu quo.
En effet, cette révolution a été faite en absence totale de leader politique. Ce que le monde a vu et retenu : des images d'hommes et de femmes côte à côte dans les rues, criant en chœur les mêmes revendications (principalement) politiques. Dans certains endroits, nous avons vu des femmes conduire des marches et des manifestations. Il ne s’agissait ni du CSP, ni de revendications pour les droits des femmes et encore moins de la sphère publique. Il s’agissait uniquement de pouvoir politique ; des corps de femmes, des voix de femmes revendiquant le partage du pouvoir politique.
Des images de filles portées sur les épaules des garçons ont fait le tour du monde. Ce qui était assez "insolite" dans une société toujours sous l’emprise du patriarcat, du qu’en dira-t-on, et surtout des milices de Ben Ali.
Ces femmes (ou plutôt, les corps de ces femmes) représentaient alors la négation même des pouvoirs en place : celui de Ben Ali, du RCD, des traditions et du "père".
Malgré le harcèlement et le risque de représailles, les tunisien(ne)s ont décidé de croire en leur avenir, batailler pour (contre vents et marées). Ils ont choisi de vivre librement.
Et comme le dit le célèbre proverbe "si on veut, on peut" et en effet, ils ont gagné cette manche.
Pendant des jours (inoubliables), on "respirait" cet air de complicité paisible entre citoyens et citoyennes, les cercles de débats mixtes meublaient places et trottoirs, filles et garçons sillonnaient Tunis brandissant leurs slogans et criant leurs revendications.
Pour quelques semaines (seulement), les corps des femmes ont cessé d’être dépositaires de haine et de frustration des opprimés, d’être l’objet de la colère et du reflet de tout un malaise social, puisque perçus, entre autres, comme instrument du pouvoir en place. (la fameuse "vitrine de Ben Ali").
Après les élections du 23, les agressions se sont multipliées, mais, elles ont changé de nature.
La prise du pouvoir par les conservateurs (motivée par une sorte de légitimité électorale) s'est traduite par une nouvelle main mise sur l’espace public, et quelques incidents éclatèrent.
Ca a commencé avec des attaques d'une élue d'ennahdha, Mme Souad Abderrahim, contre les enfants "naturels" et les mères célibataires. Ce qui a provoqué une grande vague d'indignation.
Ces attaques contre cette frange de la société ne représentent-elles pas en réalité un "dénigrement" de cette révolution "bâtarde"' (née sans aucun tuteur). Ne défient-elles pas plutôt ces hommes et ces femmes (entremêlés) qui ont affronté le pouvoir en place? Et enfin, ne traduisent-elles pas une revanche pour rattraper l'absence d'un père de cette révolution?
Autrement dit, ces actes de violence contre la société civile en général, et les militantes en particulier, ne représentent-ils pas en réalité un refus d'implication de ces dernières dans la sphère politico-publique.
Nous, militantes du manifeste 20 Mars, nous posons ces questions!
Notre participation au sit-in du Bardo nous a propulsé dans la ligne de mire des groupes mécontents, (qui viennent attaquer notre mouvement citoyen).
Nos corps de militantes sont-ils agressés parce qu'ils portent une expression politique qui dérange ces conservateurs?!
Conscientes de l'importance de notre rôle dans cette scène (ou plutôt arène) politique, nous avons décidé de ne pas dénoncer (pas immédiatement) ces attaques contre nous. La victimisation ne fait pas partie de nos outils de travail, et on subit assez de diversions pour en rajouter une couche.
Nos amis et camardes (présents avec nous, donc témoins de ces violences) ont adopté ce silence aussi pour protéger le sit-in, et ne pas le faire dévier de ses objectifs.
Malheureusement, ça nous a rappelé le silence des partis et mouvements (qui se disent) progressistes, quand les membres de l'ATFD étaient lynchées. Ce qui aurait pu entraver leurs campagnes électorales, évitant ainsi de s'aventurer sur le terrain glissant des conservateurs (leur fond de commerce électoral).
Nous sommes conscientes que "combattre ces attaques" n'est pas la priorité des objectifs de la révolution, c'est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous taire.
Cela dit,nous nous demandons ; en s'occupant à lyncher les militantes, les agresseurs vont-ils épargner le sit-in et ses revendications politico-sociales? En s'attaquant à l'ATFD (à titre d'exemple) les conservateurs vont-ils épargner les mouvements démocrates et progressistes? Faire de nos corps des chairs à canons va-t-il assurer la réalisation des objectifs de la révolution? Avons-nous des garanties?
Le refus des femmes ne cache-t-il pas pas un refus de toute expression politique?
Le rejet du "contenant" ne se traduit-il pas par un refus du "contenu"?
Nos corps de militantes servent-ils comme bouclier ou bouc émissaire? Amortissent-ils les coups reçus par nos mouvements?
N'y allons pas par quatre chemins et posons carrément la question à nos amis et camarades : savez-vous que nos corps sont les cibles d'agressions (verbales et physiques) uniquement parce qu'elles portent une expression politique bien précise? Savez-vous que les attaques contre nos mouvements citoyens passent aussi (si ce n'est surtout) par l'agression de nos corps de femmes?
Chers amis et camarades, votre vigilance pour garantir "le succès" de nos mouvements citoyens et collectifs ne devrait-elle pas veiller aussi à "combattre" les agressions contre nous?
Et enfin, messieurs les acteurs politiques, cette vigilance ne devrait-elle pas se traduire dans vos discours et actions politiques?
Militantes de l'association du Manifeste 20 Mars.
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