Un article de journal titré « Mansour Moalla parraine l’unification de treize partis centristes » a attiré mon attention. S’il y a longtemps qu’on parle de la gauche en politique, les dénominations droite et centre sont très récentes, et fort peu utilisées, car elles ne correspondent à rien dans l’histoire du pays ; elles semblent une importation arbitraire, définie différemment selon les utilisateurs, de notions ayant cours dans des démocraties plus que centenaires. Si on lit l’article en question, on s’aperçoit que, pour l’essentiel, les formations en question sont celles de destouriens, dont le programme politique n’a guère été révélé : la seule chose que l’on peut déduire de leur origine les rapproche plutôt de la dictature, même s’ils n’ont pas tout à fait son langage, sauf dans leur opposition d’islamistes. On comprend tout de même ce que veulent dire ceux qui utilisent cette expression : ce centre, d’un type nouveau et original, se situerait à la gauche des islamistes et à la droite des progressistes, c’est-à-dire à l’intérieur du champ politique né de la révolution.
Mais non ! Les destouriens, anciens ou nouveaux, n’ont pas de place dans le nouvel espace politique : ils n’étaient plus un parti depuis longtemps, s’étant transformés, au mieux en une composante spéciale et hors légalité de l’appareil d’Etat, au pire (mais avec eux c’est toujours le pire), ce qui n’est pas exclusif de la première forme, au contraire, en une organisation de malfaiteurs rackettant sans merci tous ceux qu’ils pouvaient terroriser. C’est contre eux que le peuple s’est levé, et il sait bien, le peuple, qu’ils représentent la contre-révolution.
Que le gouvernement d’un des leurs, Caid Essebsi, ne leur ait pas fait payer leurs forfaits, qu’il leur ait même permis d’exister n’est guère étonnant. En fait, Béji Caid Essebsi a été la version soft de Mohamed Ghannouchi, mais son rôle était le même : permettre aux destouriens (les RCD et ceux d'avant) de revenir sur la scène politique malgré la fureur du peuple contre eux. Il a préparé des élections de manière à arriver à un résultat tel qu’il y ait une grande confusion, des échecs dans tous les domaines (surtout en ce que le mode de scrutin a permis l'élimination des jeunes de la révolution qui se sont abstenus, mais il y a beaucoup d'autres choses, comme l'encouragement à la prolifération de partis politiques... ) – il a même préparé pour ses successeurs inexpérimentés et dépassés, la vingt-quatrième loi des finances de Ben Ali ! Il a favorisé tout ce qui pouvait renforcer la peur des citoyens, leur méfiance réciproque.
Beaucoup d'entre nous considéraient ces aspects de sa politique secondaires par rapport à la prochaine tenue des élections ! Quelle erreur! Cet homme n'était pas victime du chaos apparent, il en préparait un réel, afin que les Tunisiens, écœurés, se tournent à nouveau vers ceux qu'ils avaient littéralement vomis, et dont on attend encore qu'ils paient pour leurs crimes ou leur complicité active dans les crimes de la mafia du 7 novembre. Cet homme a utilisé les techniques de Bourguiba et de Ben Ali pour essayer d'écarter les Tunisiens de leur combat pour la poursuite de la révolution, il agite le spectre du "danger islamiste" pour entraîner la "qoba" et les gens "de gauche" dans une bataille où ils tireront les marrons du feu pour les destouriens. Espérons que l'on se rappellera ce qu’était cet homme de la répression (6 ans ministre de l'intérieur après Taieb Mehiri, après surtout que Bourguiba ait supprimé toutes les libertés !), qui a permis la reconstitution du RCD honni, reconstitution à laquelle apporte sa touche Mansour Moalla, ce baron du bourguibisme, qui montre ainsi l'incapacité des hommes d'argent tunisiens à imaginer pour eux-mêmes un rôle déterminant, qui ne soit pas celui des quémandeurs de l'assistance de l'Etat du parti unique, du RCD, pour continuer leurs activités. En passant, on démonte le procédé : créer une douzaine de partis distincts et les réunir plus tard en un seul parti destourien, pour assurer le retour au pouvoir… Mais Mansour Moalla aide à l’unification des « partis du centre » nous affirme-t-on.
Il serait très dangereux que des partis politiques qui se réclament des objectifs de la révolution se laissent piéger par ce langage : cela pourrait laisser entendre que, comme cela pu se produire dans le passé, ils sont tentés par une alliance avec les véritables forces du passé, au nom de la lutte contre l’obscurantisme. On sait où cela peut mener. Et la société civile saura tirer les conclusions des compromissions des uns et des autres.
GN – Le 29 janvier 2012
C'est un point de vu et une analyse objective issu de M. Gilbert à considérer et surtout savoir prendre des leçons de l'Histoire.
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