Camp UNHCR de Choucha, 24 avril 2013. Steven, débouté originaire du Ghana, traverse le camp par un jour venteux. (Photo de Alessandro Vecchi). |
Le camp de Choucha, un ancien poste de la garde nationale tunisienne situé à quelques kilomètres de la frontière tuniso-libyenne, a ouvert ses portes fin février 2011 pour accueillir les milliers de personnes qui fuyaient les combats en Libye. Le camp s'est rapidement développé et d'autres camps ont vu le jour pour faire face aux besoins.
Si le flux de réfugiés était intense, leur séjour dans le camp était relativement bref. Avant même la mort de Kaddafi en Octobre 2011, la population des camps diminuait et les camps secondaires commençaient à fermer. L'UNHCR (United Nations High Commission for Refugees), à qui incombait la gestion du camp de Choucha avait même annoncé sa fermeture pour Décembre 2011, mais 18 mois après, les tentes sont toujours en place hébergeant près d’un millier de personnes majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne. Presque tous ceux qui sont restés au camp ont postulé pour le statut de réfugié et l’UNHCR a pris la responsabilité d’examiner ces « demandes d’asile » sur la base d’entretiens individuels. La réponse à la demande devait parvenir à l’intéressé dans un délai maximum d’un mois avec possibilité de recours. Si au bout de deux entretiens, la réponse était toujours négative, le dossier était définitivement classé. Cependant, contrairement à la pratique générale de l’UNHCR, moins d’une dizaine de procédures de recours ont abouti, abandonnant ainsi trois cents demandeurs d’asile, tristement appelés « déboutés », à un sort incertain. Ils sont actuellement cantonnés dans un secteur isolé du camp, le secteur E, où ils subissent toutes sortes de pressions et d’intimidations pour les obliger à accepter le lot de consolation : 700 dollars (récemment augmentée à 2500 dollars pour certains pays) et un billet d’avion, en aller simple, vers leur pays d’origine.
L’injustice subie par ces « déboutés » est multiple : persécutions dans leurs pays d’origine, pillage de leurs biens durement acquis pendant leur périple vers la Tunisie, refus catégorique de l’UNHCR de réexaminer leurs demandes d’asile et ce, malgré les vices de procédure graves relevés par les réfugiés eux-mêmes et différents représentants d’ONG actifs dans le camp, dans la conduite des entretiens.
Ces manquements ont intéressé toutes les étapes du processus. D’abord, les « demandeurs d’asile » n’ont pas reçu d’informations sur la procédure légale qu’ils avaient entamée ni de conseil juridique, pourtant stipulé dans les « UNHCR Guidelines ». Si certains avaient pu se rattraper en lisant les conventions de Genève, beaucoup étaient illettrés et ignoraient tout de la définition même de réfugié, du déroulement de la procédure, des motifs qu’ils pouvaient invoquer pour la demande d’asile (Par exemple, très peu savaient que l’homosexualité était un motif recevable) et de leurs droits durant les entretiens.
S’est également posé le problème des traducteurs, l’UNHCR ayant fait appel à de jeunes interprètes inexpérimentés, souvent recrutés parmi les réfugiés eux-mêmes, qui ne maitrisaient ni la langue d’origine ni la langue de traduction. Les déclarations de l’intéressé subissaient ainsi moult amputations, déformations, nuisant ainsi à sa cause. La plupart des interviewés ne savaient pas qu’ils étaient en droit d’arrêter l’entretien s’ils étaient insatisfaits de la traduction. Certaines personnes se sont même plaintes de ce que le traducteur appartenait à un clan ennemi (groupes ethniques en conflit au Darfour par exemple), mais leur plainte n’a pas été prise en considération et ils se sont retrouvés avec le même interprète lors du deuxième rendez-vous.
Autre déficience grave de la procédure, l’échange d’informations entre l’UNHCR et les missions diplomatiques des pays d’origine des réfugiés, dans le cadre d’une collaboration étroite pour préparer la réinstallation des réfugiés chez eux. Cet échange a suscité la méfiance des réfugiés qui ont tu les sévices et les persécutions subies par crainte de représailles contre leurs proches restés là-bas et contre leurs propres personnes après un éventuel retour.
Suite à la clôture de leurs dossiers, les « déboutés » recevaient une lettre de l’UNHCR, les informant de la nécessité de quitter le camp dans les quinze jours qui suivaient, soit vers la Libye soit vers leur pays d’origine. Certains d’entre eux ont été tentés de retourner gagner leur vie en Libye mais ils ont été mal accueillis par les autorités libyennes et renvoyés illico en Tunisie. Ils étaient alors interceptés par la police tunisienne, emprisonnés, avant d’être reconduits au camp de Choucha.
Les choses ont commencé à se corser en Novembre 2012, quand l’UNHCR a décidé que le camp devait fermer ses portes avant la fin de l’hiver. Ils ont commencé par fermer les cuisines, et la ration quotidienne de pâte ou de riz qui étaient distribuée à tous les habitants du camp, a été remplacée par l’équivalent de deux dollars US par jour, soit 105 dinars tunisiens par mois, exclusivement réservés à ceux qui avaient obtenu le statut légal de réfugié. Par la suite, ceux parmi les « déboutés » qui avaient été embauchés par l’UNHCR pour exercer certaines tâches dans le camp (instituteurs, animateurs, ébéniste…) ont été sommairement renvoyés de leurs postes. Pour assurer leur subsistance et celle de leurs proches, les plus vigoureux se sont aventurés en dehors du camp pour essayer de trouver du travail, s’exposant ainsi à diverses mésaventures : propos racistes, actes de violence, exploitation. N‘étant pas en possession de leurs papiers d’identité, confisqués par le personnel de l’UNHCR à leur entrée au camp, ils ne pouvaient recourir aux autorités tunisiennes car la situation risquait de se retourner contre eux.
Il était clair que l’UNHCR avait opté pour une politique d’affamation pour pousser ceux qu’il considérait désormais comme des « illégaux » à partir. Qu’il y ait parmi eux des enfants en bas âge, des mineurs sans familles, des personnes âgées et des handicapés ne semble pas déranger les exécutants de cette politique, supposés avoir une vocation altruiste et humanitaire. Au contraire, il y a eu une escalade rapide dans les moyens de pressions : en février 2013 les « déboutés » ont été séparés des autres réfugiés et cantonnés au « secteur E » ; le 1er Avril l’électricité a été coupée, puis l’eau. Celle-ci a été rétablie à plusieurs reprises, suite à l’intervention du ministère des affaires sociales mais la pompe continue à disparaître régulièrement de façon mystérieuse, laissant la population du secteur E sans eau potable pendant plusieurs jours. Cependant, malgré la faim, les conditions climatiques extrêmes, la tension psychologique presque palpable qui règne dans le camp, l’absence de soins médicaux adéquats, les « déboutés » ont survécu jusque-là, tant bien que mal, grâce à leur solidarité, à l’aide fournie par quelques bénévoles étrangers et par des habitants de la région, mais surtout grâce à leur volonté de croire à des jours meilleurs. Certains continuent à se battre activement contre la décision de l’UNHCR de ne pas reconsidérer les demandes d’asile : médiatisation de leur cause via les réseaux sociaux, sit-in sur la route de Ras Jdir ayant entraîné des heurts avec la population locale qui vit essentiellement de la contrebande avec la Libye, sit-in depuis le 29 mars 2013 devant les bureaux de l’UNHCR à Tunis où trois grévistes de la faim ont dû être hospitalisés du fait de la dégradation de leur situation sanitaire.
La nouvelle date butoir, pour la fermeture du camp est désormais fixée au 30 juin 2013 et le sort des « déboutés » est toujours incertain. Suite à une visite officielle effectuée dans le camp en Mai 2013, le ministre des affaires sociales, accompagné de représentants de l’organisation arabe des droits de l’homme a assuré les déboutés du « soutien » de l’état tunisien. Un projet visant l’insertion de ceux qui accepteraient de s’installer dans le pays serait en cours d’étude. Mais la demande principale des concernés est d’être soutenus dans leur conflit avec l’UNHCR, pour que leurs requêtes soient réexaminées dans des conditions optimales et que l’opération soit supervisée par un organisme indépendant. Pour des « raisons d’état », l’état tunisien ne peut pas assurer cette tâche. Quelques acteurs de la société civile se sont mobilisés mais la cause reste mal défendue et le 30 juin approche à grands pas !