lundi 6 février 2012

Les anciens maîtres sont de retour (Par Gilbert Naccache)



Ils sont rassurés, on ne les renverra pas, peut-être même qu’on les invitera aux différents banquets. Mais l’essentiel était d’être acceptés ; après, ils aviseront, car ils ont confiance dans leurs forces, avec en plus tous leurs hommes (et femmes) qui attendent en silence, dissimulés parmi les autochtones. Il est pour eux temps d’envoyer leur valetaille préparer leur arrivée, leur séjour, leur nourriture… Les anciens maîtres, qu’on avait crus partis ou disparus, annoncent qu’ils vont revenir. Oh, ils ne vont pas tout de suite abattre leurs cartes, ils vont s’habiller à la nouvelle mode, tenir le langage qui a cours et tâcher d’agrandir leur armée avec tous ceux qui ont peur, peur de l’avenir, du changement, de la lutte, de l’instabilité, des références divines, de tout cela ou seulement d’une partie, ou d’autre chose de plus terrifiant.

Mais voilà, les valets qui sont arrivés les premiers n’ont pas saisi qu’il fallait parler autrement, utiliser beaucoup de miel et presque pas de poivre dans leurs plats, faire semblant de comprendre ceux qui disent se méfier… Pour avoir trop longtemps servi en toute impunité les maîtres, et le plus grand d’entre eux, et en avoir été justement récompensés, ils ont pris l’habitude des langages vulgaires, de l’arrogance de ceux qui méprisent ceux qu’on les a longtemps chargé de maintenir la tête baissée. Ils essaient bien d’utiliser le nouveau langage, mais ils n’ont pu se débarrasser de l’accent,  des insultes et des menaces de l’ancien.
Le résultat serait comique, en d’autres circonstances ; les valets chargés de rassurer, tout en décrédibilisant ceux qui ont un discours de méfiance, se comportent de manière à dévoiler les intentions de leurs maîtres et à augmenter le nombre de  ceux qui se méfient. Douloureux dilemme pour les maîtres : renverront-ils avec fracas les valets trop zélés, prenant le risque de ne pas trouver de personnel aussi dévoué, ou garderont-ils les mêmes, en dépit de leurs maladresses ou en essayant de les minimiser, ce qui est tout de même risqué ?

Moncef Dlimi a cru utile de passer l’annonce du retour des destouriens par une lettre ouverte qu’il m’adresse. En d’autres temps, il aurait tenu le propos contenu dans sa « lettre » dans une tribune véhémente du journal l’Action pour justifier les poursuites ou déjà les condamnations dont m’auraient gratifié les juges aux ordres de ses maîtres. Las, les temps ont changé (provisoirement, espère-t-il sans oser le dire), et les juges ne condamnent plus les mêmes. Je n’infligerai pas à mon lecteur sa prose, authentique spécimen d’une haineuse langue de bois destourienne, la même que les « journalistes »du RCD, du PSD, etc., nous rabâchaient depuis les années 60, prose qui se termine par une insinuation raciste : il oppose à ma malfaisance les qualités de deux militants sincères, Georges et son fils Serge Adda. Il n’y avait en Tunisie que ces deux militants de gauche sincères et c’est tout à fait par hasard qu’ls étaient juifs ! Je note seulement qu’il ne cache pas son jeu, ni sa mission : réhabiliter les destouriens patriotes qui ont construit l’Etat avec Bourguiba, et qui sont maintenant, après quelques petites erreurs, en mesure de donner des leçons de démocratie  et de… révolution ! Ces gens qui ont, pour ne parler que de cela, exclu le peuple tunisien du choix de son destin (Bourguiba voulait conduire ce peuple au paradis avec des chaînes) et empli les prisons de ceux qui osaient penser, et qu’on avait amplement torturés pour le principe – on n’a entendu ni M. Dlimi, ni d’autrespatriotes s’émouvoir de ces exclusions ! – ces gens protestent contre leur exclusion, qui ne serait pas conforme à l’esprit de la révolution. Prenez garde : à force de prendre les révolutionnaires pour les pauvres bougres  que vous avez essayé d’en faire pendant 56 ans, vous risquer de leur donner des envies. Mais peut-être est-ce là le but recherché : déconsidérer la révolution en la poussant à la violence pour la faire oublier plus vite.  Vous jouez avec le feu, mesdames et messieurs, et on ne sait pas qui, en fin de compte, sera  brûlé.

Un mot pour finir à propos des islamistes dont on s’indigne qu’ils tiennent un double discours : qui donc leur a appris à le faire ? Ce n’est évidemment pas cet homme moderne, ce républicain intransigeant qui a créé le mouvement islamiste pour contrer… les horribles communistes. Et comme le Néo-Destour et le RCD n’ont pas laissé d’autres modèles de gouvernement que celui du parti unique, quoi d’étonnant à ce que le mouvement Ennahdha soit tenté d’épouser ce modèle ? Pour ma part, je suis, avec 350 autres personnes, rédacteur d’un projet de constitution dont je pense qu’il est profondément démocratique ; où est le projet des destouriens ? A moins que ne soit la constitution de 1959 qui a conduit directement à l’Etat de parti unique ?

PS : Je propose que tous ceux qui ont occupé un poste de responsabilité dans le parti qui était au pouvoir soient privés de leurs droits civiques pour un certain temps. Que les personnes concernées se dépêchent de rectifier leur CV, au cas où l’on m’entendrait !
GN, Le 5 février 2012

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