vendredi 3 février 2012

Le pain et les libertés, maintenant ! ( par Tahar ABDESSALEM)



L’économie est bloquée et les perspectives du pays s’assombrissent.
On invoque l’arrêt des activités économiques et la destruction de l’emploi (l’année 2011 aurait ajouté 300 000 chômeurs au stock préexistant) suite à la recrudescence des actes incontrôlés, apparentés au vandalisme (sit-ins désordonnés et illégaux, barrages et fermetures de voies de communication, routes, chemins de fer, etc.) et des grèves excessives et non justifiées, dans de multiples entreprises et services publics. Alors comment espérer, dans ce paysage contestataire voire agressif, répondre aux revendications concernant l’emploi et le développement local et régional ? La stabilisation est remise en question, que dire alors des actions d’investissement, seules capables de remettre la croissance forte sur les rails pour enclencher la baisse du chômage accumulé ?

Décrire la situation en ces termes, c’est passer à côté de son trait fondamental, qui la structure, lui donne son sens véritable, et permettrait d’entrevoir les clefs de son évolution : c’est une situation révolutionnaire résultant du renversement d’un système de despotisme politique et d’injustices sociales, où les revendications centrales ont été et demeurent la dignité, la liberté et la justice. Les forces sociales qui ont réalisé ou soutenu la Révolution attendaient et attendent encore la traduction concrète de ces valeurs dans tous les aspects de la vie sociale : conditions matérielles de l’existence, expressions politiques, professionnelles, culturelles, etc.

Rappelons encore que la double tâche, simultanée,  assignée depuis le début- et encore plus fortement après l’élection de la Constituante-, à toutes les bonnes volontés politiques et citoyennes concerne :
  • Le lancement des bases de la reconstruction institutionnelle démocratique de la société par la rédaction d’une nouvelle constitution, concrétisant les revendications révolutionnaires centrales  ' de liberté, dignité et démocratie ', et restant fidèle au sacrifice de ses martyrs, par la reconnaissance et la garantie des libertés et droits fondamentaux et l’élaboration d’une organisation équilibrée des pouvoirs.
  • Le traitement et la résolution de  certains dossiers urgents prioritaires :
-  économiques et sociaux avec : la réduction des souffrances résultant du chômage par l’embauche, autant que possible, dans les institutions publiques, parapubliques et privées, et des mesures d’aides financières ;  la lutte contre l’extrême pauvreté dans différents endroits du pays; la réparation des injustices subies par les salariés précaires, longtemps exploités et ignorés.
-  Judiciaires et sécuritaires avec : le soutien aux familles des martyrs et la prise en charge des blessés,  et la mise en place d’une justice transitionnelle pour poursuivre, juger et sanctionner les coupables de la répression et de la prédation ; la garantie de la sécurité comme un droit fondamental et une condition première de toute vie humaine et sociale, par la réorganisation des dispositifs de sécurité intérieures sur la base des principes républicains et démocratiques et d’un statut assurant aux organes de sécurité leur dignité dans le service des citoyens et de leurs droits.

Une première  constatation s’impose : beaucoup des contestations sociales résultent de la non application d’accords et solutions adoptés depuis plusieurs mois, ou la mauvaise application des décisions prises. Au-delà d’éventuelles considérations politiques, les modes de fonctionnement centralisés et bureaucratiques des institutions responsables, agissant à la manière ancienne, alors que la détresse des populations appelle et exige des mécanismes rapides, conduits par des équipes d’urgence associant des fonctionnaires compétents, des représentants des populations concernées, des acteurs dévoués de la société civile, au plus prés du terrain de chaque problème.

Une deuxième constatation est plus stratégique : il semblerait que beaucoup trop de politiques n’ont pas suffisamment tiré la principale leçon de l’histoire  contemporaine du pays, à savoir qu’il y a un lien organique entre les valeurs et droits fondamentaux-liberté et justice- et le véritable développement économique ! Affirmer les valeurs de liberté et justice sans que les larges fractions de la population puissent en bénéficier par misère matérielle et exclusion sociale, ne peut qu’approfondir les divisions de la société et vider les principes démocratiques de leur substance.
Prétendre rechercher la prospérité économique au mépris de ces valeurs, c’est se draper de l’idéologie du développement et aboutir à terme à l’hégémonie de l’Etat sur la société, et la confiscation de cet Etat par un groupe particulier.
Au-delà du fait qu’aucune « voie vers la démocratie » ne peut adopter des mécanismes qui vont à son encontre et piétinent ses principes et valeurs les plus élémentaires, le problème est encore plus aigu pour notre pays, dépourvu de ressources naturelles imposantes, où seule une organisation sociale ouverte et démocratique permettrait de réaliser ses ambitions de bien-être pour l’ensemble de ses citoyens. Les libertés constituent à la fois des droits fondamentaux et une ressource vitale pour son économie : faire observer par les uns ou les autres qu’elles sont ou peuvent être bafouées, c’est aussi hypothéquer lourdement, sinon plus, les chances de développement économique!

La levée des incertitudes, l’ouverture des horizons et la libération des énergies promises par la Révolution, commandent en urgence, à la fois de nourrir ceux qui crient famine et de conforter les libertés naissantes par leur protection et surtout leur inscription indélébile dans une Constitution démocratique : c’est la responsabilité historique des acteurs majeurs de la société, politiques, sociaux et citoyens.

Tahar Abdessalem

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