lundi 30 janvier 2012

En finir avec le RCD (par Gilbert Naccache)


                    La société civile, du moins une grande partie de cette société, a été heureuse de manifester en grand nombre  samedi dernier pour les libertés. Si elle s’est posé des questions sur la façon dont la manifestation a été préparée, sur le rôle des uns et des autres, elle n’en a pas moins participé avec enthousiasme à ce qu’elle considérait comme une nécessité vitale. Et elle a eu raison, on ne doit pas reculer sur les libertés.


Il est cependant notable que l’appel à cette action ait été lancé par des partis politiques présents à l’ANC, repris par d’autres partis ou personnalités politique aux desseins plutôt troubles et aux rapports pour le moins équivoques avec la révolution. Tout ce monde, qui n’a guère été à l’avant-garde de la révolution, quand il n’a pas été dans les rangs de la contre-révolution, a donc besoin de la société civile et n’hésite pas à la mobiliser ! Les derniers temps du régime de Ben Ali nous avaient habitués à un spectacle différent : la société civile d’alors, qui avait le plus grand mal à seulement exister, lançait des initiatives en faveur des libertés, et les partis politiques lui emboîtaient le pas, sauf pour le parti dominant, le RCD, dont les descendants aujourd’hui soi-disant dispersés affirment avec une certaine insolence un tout nouvel amour pour les libertés, celles-là même qu’ils avaient étouffées quand ils étaient au pouvoir ! On ne peut s’empêcher, devant cette quasi-unanimité des partis extérieurs à la troïka, de penser que leur intentions ne sont pas tout à fait aussi pures, qu’il y a des arrière-pensées chez certains d’entre eux, et que les autres ne font pas grand cas de la révolution lorsqu’ils se sentent menacés dans leurs ambitions. Soyons clairs : les partis qui ont appelé à la mobilisation ont réédité, avec moins de netteté, l’opération « coupole » (qoba) de la fin de l’ère Ghannouchi, mais cette fois-ci contre les islamistes et non contre le « peuple de la révolution », de toute façon absent de leurs préoccupations.

La plupart de la société civile a participé à cette action sans illusion sur les intentions des uns et autres, déterminée à ne pas se laisser instrumentaliser. Car il faut prendre garde à ce que cette belle manifestation ne serve pas en fin de compte à remettre en selle les ennemis les plus déterminés de la révolution : comme un certain 7 novembre, les avatars, pour le moment dispersés (ils avaient ainsi l’air plus inoffensif), du RCD, mafieux et socle de la mafia benalienne, nous assurent de leur attachement aux droits humains et aux libertés. Non, mesdames et messieurs qui vous êtes déguisés en grand-mères de la fable, nous savons que vous êtes des méchants loups et que vous n’avez d’autre but que de nous manger. Vous vous rangez derrière un vieillard apparemment incapable de nuire, mais qui a tout fait pour vous épargner, alors que la révolution était dirigée essentiellement contre vous, et ce vieillard, et d’autres comme Mansour Moalla, qui fut une de vos victimes, vous pardonnent votre trahison du bourguibisme et vous aident à ressusciter, paniqués qu’ils sont devant la révolution populaire. Vous caressez ce « peuple de la coupole », peut-être même croyez-vous qu’il sera votre base populaire, mais vous ne voulez en réalité que continuer ce que votre lâcheté vous avait empêché de faire en janvier 2011 : vous en tenir au départ de Ben Ali et les siens et rebâtir votre domination, celle du RCD sur le pays, bien sûr en lui trouvant un nouveau nom, comme vous l’aviez fait après le coup d’Etat de novembre 1987.
Les confusions que votre mentor (vous devez bien à Caid Essebsi de lui laisser une place importante après tout ce qu’il a fait pour vous) n’a cessé d’entretenir, le chaos apparent qu’il a créé dans le pays, ne devraient pas nous faire oublier que tout comme Bourguiba et Ben Ali, il n’utilise le chiffon rouge du danger islamiste que pour mieux écraser toute opposition au retour de la dictature contre le peuple. Mais celui-ci ne se laissera pas duper, il a décidé de tourner la page de la soumission et terminera ce qu’il a commencé : la révolution exige la liquidation totale du parti unique oppresseur, le peuple veut, et obtiendra, la disparition du Destour et de tous ses avatars, le RCD ou ces partis dont les dirigeants ne peuvent prononcer le mot révolution sans avoir l’air de s’en excuser…

Réglons d’abord le compte de ces débris de l’ère Ben Ali et ne leur donnons pas le prétexte de leurs sentiments anti-Nadha pour leur permettre de survivre en tant qu’organisation, politique ou autre. Quant à la question de la défense des libertés arrachées par la révolution, cette défense relève de la société civile, du peuple : que les partis qui s’étaient opposés à la dictature ne se trompent pas de cible, l’histoire ne leur pardonnera pas des accommodements avec l’ennemi de notre peuple : en finir avec le RCD est une priorité absolue.

GN - 30 janvier 2012



Photos de notre ami Ali Riadh Boussoffara

dimanche 29 janvier 2012

Texte Fondateur de l'association


Principes généraux


 1 La souveraineté du peuple est la source de tous les pouvoirs 
 2 Le mode d’exercice de la souveraineté est l’élection, seul mode de désignation des gouvernants à tous les niveaux. 
3 La forme républicaine de l’État est intangible. 
4 La citoyenneté est le lien fondamental entre les Tunisiens et leur État. 
5 Le peuple tunisien est enraciné dans son histoire, fier de son identité et de son appartenance au monde moderne, attaché à tous ses acquis. 
6 Il est attaché aux principes universels de liberté, d’égalité de dignité et de démocratie. 
7 Il considère fondamentales l’égalité et l’équité entre les tunisiens quel que soit leur sexe, leur religion, leurs croyances, leur origine géographique ou sociale. 
8 Le droit au développement régional équilibré et équitable est une exigence populaire. 
9 Le peuple et l’État tunisien sont engagés dans la préservation de l’environnement et des équilibres écologiques. 
10 Dans toutes les instances, nul ne peut abuser de sa majorité pour limiter le droit de la minorité ou la liberté individuelle.


 La Charte des droits et des libertés 


1 La Charte des droits et des libertés de la Constitution doit être adaptée aux évolutions modernes de ces concepts, tels qu’exprimés dans les textes internationaux auxquels il sera renvoyé. 
2 Elle affirme le principe de la liberté individuelle comme principe constitutionnel central destiné à assurer la séparation entre les espaces privé et public. 
3 Elle reconnait des droits socioéconomiques opposables ; il s’agit essentiellement du droit au travail, au logement, à l’accès à l’enseignement et aux soins, à la couverture sociale solidaire, à la répartition équitable des richesses nationales et à la liberté d’industrie et de commerce. 
4 Toutes les libertés publiques notamment celles de presse, d’association de réunion et de manifestation sont garanties et protégées, elles sont exercées sous réserve éventuellement d’une déclaration préalable. 
5 Le juge est garant des libertés individuelles et publiques 


La structure des pouvoirs 


1 La légitimité populaire structure de bas en haut les institutions des pouvoirs locaux régionaux et centraux. 
2 Les institutions sont structurées selon le principe de la noncentralisation. 
3 Les différents pouvoirs sont séparés horizontalement et repartis verticalement entre les niveaux local, régional et central. 


Les institutions locales et régionales 


1 Les Assemblées locales et régionales sont élues au suffrage universel direct, elles sont indépendantes du pouvoir central et ont des compétences étendues dans la gestion des affaires locales et régionales. 
2 Les Assemblées élisent leurs présidents. 
3 Les Présidents des Assemblées sont membres de droit des assemblées régionales, ils représentent les intérêts locaux. 
4 Les Autorités locales et régionales sont soumises à un contrôle juridictionnel concernant la légalité de leurs décisions et leur gestion financière. 
5 Les compétences des Autorités locales, régionales, et centrales sont réparties par la Constitution. 
6 Le juge constitutionnel et le juge administratif tranchent les litiges qui peuvent survenir en matière de répartition des compétences des différentes autorités. 


Les institutions politiques centrales


a. Le Pouvoir législatif
 1 Le pouvoir législatif est exercé par deux chambres : l’Assemblée Nationale élue au suffrage universel direct et le Sénat composé de représentant élus des Assemblées régionales sur la base d’une représentation égale de toutes les régions. 
2 À coté de ses compétences législatives et politiques générales, le Sénat à pour mission d’assurer les débats entre les régions en ce qui concerne la politique du développement régional et la répartions des budgets entre l’État et les régions et entre les régions. 
3 Les deux chambres participent au processus législatif et à l’approbation du gouvernement et de sa politique et au contrôle de son action. 
4 De par sa légitimité élective l’Assemblée Nationale est prééminente sauf en matière de développement régional. 
5 Le pouvoir législatif peut retirer sa confiance au gouvernement en votant une motion de censure. Le vote d’une motion de censure provoque la démission du gouvernement et la désignation par le Président de la République d’un nouveau chef du gouvernement. 
b. Le Pouvoir exécutif 
le Gouvernement 
1 Le gouvernement est issu de la majorité parlementaire. 
2 Il définit la politique générale de l’État et l’exécute. 
3 Il dispose du pouvoir réglementaire et partage l’initiative législative avec les députés. 
Le Président de la République 
1 En vue d’équilibrer le pouvoir du parlement, le Président de la République est élu au suffrage universel direct. 
2 Il dispose des attributions d’un chef d’État en matière de représentation. il est garant de la continuité de l’État et des services publics, du respect de la Constitution et des lois de la République. 
3 Il nomme le chef du gouvernement et promulgue les lois. 
4 Il dispose d’un pouvoir d’empêchement et de veto sur les choix politiques et législatifs. 
5 Il dispose d’un recours devant la justice constitutionnelle. 
c. Le Pouvoir judiciaire 
1 L’indépendance de la justice est un principe intangible. Elle est garantie par le Conseil supérieur de la Magistrature, organisme élu par les juges. 
2 En vue d’assurer la force légitime du pouvoir judiciaire les autorités juridictionnelles, judiciaire, administrative et constitutionnelle, sont regroupées dans un ordre unifié sous l’autorité d’une Cour Suprême. 
3 La Cour des comptes gardera son indépendance et sera décentralisée en Cours régionales pour pouvoir assurer le contrôle de la gestion financière des autorités locales et régionales. 

Langage et contre-révolution (Par Gilbert Naccache)


Un article de journal titré « Mansour Moalla parraine l’unification de treize partis centristes » a attiré mon attention. S’il y a longtemps qu’on parle de la gauche en politique, les dénominations droite et centre sont très récentes, et fort peu utilisées, car elles ne correspondent à rien dans l’histoire du pays ; elles semblent une importation arbitraire, définie différemment selon les utilisateurs, de notions ayant cours dans des démocraties plus que centenaires. Si on lit l’article en question, on s’aperçoit que, pour l’essentiel, les formations en question sont celles de destouriens, dont le programme politique n’a guère été révélé : la seule chose que l’on peut déduire de leur origine les rapproche plutôt de la dictature, même s’ils n’ont pas tout à fait son langage, sauf dans leur opposition d’islamistes. On comprend tout de même ce que veulent dire ceux qui utilisent cette expression : ce centre, d’un type nouveau et original, se situerait à la gauche des islamistes et à la droite des progressistes, c’est-à-dire à l’intérieur du champ politique né de la révolution.

Mais non ! Les destouriens, anciens ou nouveaux, n’ont pas de place dans le nouvel espace politique : ils n’étaient plus un parti depuis longtemps, s’étant transformés, au mieux en une composante spéciale et hors légalité de l’appareil d’Etat, au pire (mais avec eux c’est toujours le pire), ce qui n’est pas exclusif de la première forme, au contraire, en une organisation de malfaiteurs rackettant sans merci tous ceux qu’ils pouvaient terroriser. C’est contre eux que le peuple s’est levé, et il sait bien, le peuple, qu’ils représentent la contre-révolution.

Que le gouvernement d’un des leurs, Caid Essebsi, ne leur ait pas fait payer leurs forfaits, qu’il leur ait même permis d’exister n’est guère étonnant. En fait, Béji Caid Essebsi a été la version soft de Mohamed Ghannouchi, mais son rôle était le même : permettre aux destouriens (les RCD et ceux d'avant) de revenir sur la scène politique malgré la fureur du peuple contre eux. Il a préparé des élections de manière à arriver à un résultat tel qu’il y ait une grande confusion, des échecs dans tous les domaines (surtout en ce que le mode de scrutin a permis l'élimination des jeunes de la révolution qui se sont abstenus, mais il y a beaucoup d'autres choses, comme l'encouragement à la prolifération de partis politiques... ) – il a même préparé pour ses successeurs inexpérimentés et dépassés, la vingt-quatrième loi des finances de Ben Ali ! Il a favorisé tout ce qui pouvait renforcer la peur des citoyens, leur méfiance réciproque.

Beaucoup d'entre nous considéraient ces aspects de sa politique secondaires par rapport à la prochaine tenue des élections ! Quelle erreur! Cet homme n'était pas victime du chaos apparent, il en préparait un réel, afin que les Tunisiens, écœurés, se tournent à nouveau vers ceux qu'ils avaient littéralement vomis, et dont on attend encore qu'ils paient pour leurs crimes ou leur complicité active dans les crimes de la mafia du 7 novembre. Cet homme a utilisé les techniques de Bourguiba et de Ben Ali pour essayer d'écarter les Tunisiens de leur combat pour la poursuite de la révolution, il agite le spectre du "danger islamiste" pour entraîner la "qoba" et les gens "de gauche" dans une bataille où ils tireront les marrons du feu pour les destouriens. Espérons que l'on se rappellera ce qu’était cet homme de la répression (6 ans ministre de l'intérieur après Taieb Mehiri, après surtout que Bourguiba ait supprimé toutes les libertés !), qui a permis la reconstitution du RCD honni, reconstitution à laquelle apporte sa touche Mansour Moalla, ce baron du bourguibisme, qui montre ainsi l'incapacité des hommes d'argent tunisiens à imaginer pour eux-mêmes un rôle déterminant, qui ne soit pas celui des quémandeurs de l'assistance de l'Etat du parti unique, du RCD, pour continuer leurs activités. En passant, on démonte le procédé : créer  une douzaine de partis distincts et les réunir plus tard en un seul parti destourien, pour assurer le retour au pouvoir…  Mais Mansour Moalla aide à l’unification des « partis du centre » nous affirme-t-on.

Il serait très dangereux que des partis politiques qui se réclament des objectifs de la révolution se laissent piéger par ce langage : cela pourrait laisser entendre que, comme cela pu se produire dans le passé, ils sont tentés par une alliance avec les véritables forces du passé, au nom de la lutte contre l’obscurantisme. On sait où cela peut mener. Et la société civile saura tirer les conclusions des compromissions des uns et des autres.
GN – Le 29 janvier 2012